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Géopolitique de la production et du trafic de drogues illicites en Asie

Géopolitique de la production et du trafic de drogues illicites en Asie

Pierre-Arnaud Chouvy

Hérodote n° 109, 2e trimestre 2003, pp. 163-189.


S’il a fallu des millénaires à l’humanité pour distinguer quelles étaient les « plantes magiques », celles dont la consommation procure des effets psychotropiques, il ne lui a fallu que l’espace d’un siècle pour en identifier, isoler, voire reproduire les principales substances actives, d’une part, et, d’autre part, interdire certaines de ces « drogues », ainsi qu’elles sont désormais nommées. L’histoire et la géographie des drogues, de leur localisation, de leur diffusion comme de leur consommation, changent ainsi brusquement à partir du XIXe siècle avec les progrès de la pharmacologie, l’accélération de l’internationalisation des échanges et l’instauration du système de prohibition internationale des drogues, l’expansion de la civilisation industrielle et les bouleversements culturels que celle-ci véhicule [2] . Phénomènes ancrés dans d’innombrables traditions millénaires [3] , la consommation et le commerce des drogues illicites sont entrés de plain-pied dans la modernité, le marché mondial des trois ou cinq principales d’entre elles ayant dégagé, selon les estimations les plus courantes, de 300 à 500 milliards de dollars de chiffre d’affaire au début des années 1990.

Il n’aura pas non plus fallu plus d’un siècle pour que, à travers le rôle primordial qu’y ont joué les Etats-Unis, un régime mondial de prohibition de certaines drogues soit conçu et mis en place et permette au trafic international de drogues illicites de prendre l’ampleur qu’on lui connaît désormais. En effet, l’économie des drogues illicites est dynamisée par la répression [4] dont elle est l’objet depuis des décennies et dont les Etats-Unis sont les principaux financiers et promoteurs. Si les Etats-Unis ont été les principaux instigateurs des conventions internationales régissant la production, la commercialisation et la consommation des drogues, lesquelles sont réparties en drogues licites et illicites, ils ont aussi été les plus fervents partisans de la « guerre contre la drogue » (war on drugs) qui est menée sur tous les fronts et dans tous les pays depuis que l’administration Nixon l’a décrétée en 1971.

Mais les Etats-Unis, ou du moins certains services de leur appareil d’Etat, ont aussi largement instrumentalisé les drogues illicites, à travers leurs producteurs et leurs trafiquants, afin notamment de financer certaines de leurs opérations secrètes dans le monde. Les exemples abondent en effet de la place que le trafic de cocaïne ou d’héroïne a pu tenir dans les opérations de financement de la Central Intelligence Agency (CIA), du Laos et du Vietnam jusqu’au Nicaragua, en passant bien sûr par l’Afghanistan. L’ouvrage majeur d’Alfred McCoy, The politics of heroin in Southeast Asia (1972), a largement et brillamment traité du rôle que la CIA avait pu jouer dans le développement de la production d’opium et du trafic d’héroïne dans le contexte du conflit indochinois, avant d’étendre la dénonciation à la répétition du scénario lors de la guerre soviéto-afghane dans un second ouvrage, The politics of heroin : CIA complicity in the global drug trade (1991). Les Etats-Unis ont donc joué un double rôle sur la scène internationale, promouvant avec véhémence un régime mondial de prohibition de certaines drogues d’une part, et instrumentalisant de façon stratégique d’autre part le recours à l’économie illicite des opiacés par leurs acteurs interposés (proxies), Hmong (ceux du général Vang Pao, au Laos) ou Pachtoun (Gulbuddin Hekmatyar en Afghanistan), afin de financer les opérations secrètes de la CIA au Laos et en Afghanistan.

L’Asie, où l’on peut raisonnablement estimer qu’est né le narcotrafic international (autour de l’opium), où, avec l’opiomanie chinoise, la plus importante toxicomanie de masse est apparue, et d’où les premiers mouvements prohibitionnistes ont pu émerger, fournit un espace géographique de référence riche d’enseignement. On trouve en effet au cœur du continent asiatique les deux espaces majeurs de production illicite d’opiacés au monde et dans le développement desquels les Etats-Unis, notamment, ont joué un rôle certain (carte 1). Nichés aux extrémités orientale et occidentale de la chaîne himalayenne, dans des régions dont la centralité géographique dispute à la marginalité politique, les espaces dits du « Triangle d’Or » et du « Croissant d’Or » sont la source de l’immense majorité de l’opium produit illégalement dans le monde et de l’héroïne qui alimente les principaux centres de consommation de la planète, depuis l’Amérique du Nord jusqu’au Japon et à l’Australie, en passant par l’Europe.

Le Triangle d’Or stricto sensu est cet espace de culture commerciale du pavot à opium qui, en Asie du Sud-Est continentale, correspond aux régions frontalières contiguës de la Birmanie (Myanmar), du Laos et de la Thaïlande, cette dernière ayant toutefois réduit efficacement une telle production sur son territoire. Quant à l’espace du Croissant d’Or, il est, de façon similaire, surimposé aux régions frontalières de trois pays limitrophes, l’Afghanistan, l’Iran et le Pakistan, même si, là encore, l’Iran a éradiqué toute production commercialement significative et si le Pakistan a récemment diminué la sienne de façon drastique. Mais le développement d’une telle production dans ces deux régions et leur concentration récente en Birmanie et en Afghanistan sont nettement moins traditionnels qu’il n’y paraît de prime abord. Les émergences du Triangle d’Or et du Croissant d’Or sont en effet le produit d’une histoire ancienne et complexe dans lesquelles la géographie, le commerce et la politique ont d’abord favorisé la culture d’une plante, avant d’imposer et d’étendre le commerce de ses produits bruts et dérivés, l’opium, la morphine et l’héroïne. Le processus de mondialisation a quant à lui dynamisé le recours à l’économie des drogues illicites à la surface de la planète, sa composante strictement économique ayant certes joué dans les mécanismes classiques d’offre et de demande. C’est toutefois surtout la division du monde en deux blocs lors de la guerre froide qui va accentuer la production des opiacés en Asie et le recours à leur vente afin de financer les conflits par acteurs interposés qui opposaient les Etats-Unis et l’Union soviétique. Et ce sont les Etats-Unis qui, clairement, par le biais de la CIA, seront ceux qui instrumentaliseront le plus le recours à l’économie des drogues illicites.

Mondialisation et émergence du Triangle d’Or : de la Seconde Guerre mondiale, du communisme et de la guerre froide.

Dès la fin du XIXe siècle, le Royaume-Uni ayant imposé à l’Empire du Milieu d’importer l’opium qu’il produisait aux Indes, les gouvernements coloniaux d’Asie du Sud-Est furent confrontés au développement du marché noir de l’opium chinois yunnanais qui concurrençait fortement les ventes de leurs monopoles. Dans l’Asie du Sud-Est britannique et française, la solution qui aurait consisté à accepter et à favoriser une production locale, longtemps envisagée, n’aurait alors fait que compliquer encore plus une situation déjà quasi incontrôlable tant les frontières septentrionales du Siam et des domaines coloniaux, poreuses et très mal maîtrisées, permettaient la contrebande de quantités importantes d’opium chinois. L’émergence d’une production sud-est asiatique en fut donc considérablement retardée.

C’est dans les années 1930 et 1940 que plusieurs évènements se combinèrent de la Birmanie au Tonkin, en passant par le Siam et la Chine, et permirent, sinon provoquèrent, un développement sans précédent de la production d’opium en Asie du Sud-Est. Les Britanniques, qui alimentaient leur monopole de la vente de l’opium en Birmanie avec leur opium indien, avaient ignoré le problème de la production des Etats shan et wa du nord-est de la Birmanie, comme de celui du trafic provenant du Yunnan, en se refusant à intervenir administrativement (indirect rule) dans ces régions frontalières qui produiraient plus tard l’essentiel de l’opium du Triangle d’Or [5] .

Le Siam, devenu Thaïlande sous la dictature de Phibun en 1938, avait également souffert de la contrebande de l’opium chinois et birman et les mesures de réduction, notamment la fermeture des fumeries d’opium, annoncées en 1907 par le roi Chulalongkorn (r. 1868-1910), devaient céder la place à une politique de développement de la production siamoise qui réduirait les coûts des importations et freinerait le trafic [6]. A l’époque, les seules solutions qui pouvaient permettre de réduire la contrebande en Asie du Sud-Est consistaient par exemple à légaliser les productions de Birmanie et de Thaïlande ainsi que leurs exportations respectives. Quant à l’Indochine française, les monopoles de l’opium du Cambodge, du Tonkin, de l’Annam et du Laos y vendaient de l’opium indien, turc et persan jusqu’à ce que Paul Doumer réoriente en 1899 une partie des achats vers l’opium yunnanais qui était meilleur marché.

Les monopoles français connurent ensuite un bouleversement de leurs approvisionnements sans précédent avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et l’interruption des importations moyen-orientales consécutive à la très importante perturbation du commerce maritime. La seule solution qui s’offrait alors aux monopoles, afin qu’ils puissent continuer à tirer leurs substantiels bénéfices de la vente de l’opium, consistait à développer la production locale. Les Hmong du Laos et du Tonkin allaient donc désormais pouvoir produire légalement leur opium pour le compte des monopoles d’Indochine. Les dispositions prises par les monopoles avaient ainsi provoqué une forte augmentation de la production laotienne pendant la guerre et, comme le remarque très justement Alfred McCoy, elles avaient surtout transformé l’économie tribale qui passait d’une agriculture de subsistance à celle d’une culture de rapport [7] . Aussi la production indochinoise connut-elle une augmentation de 800 % en quatre ans, passant de 8,4 tonnes en 1940 à 60,6 tonnes en 1944 [8] .

Mais, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’économie de l’opium en Asie du Sud-Est en était toutefois encore à ses balbutiements, même si, à la suite des ruptures de l’approvisionnement indien et chinois, la région était devenue pour la première fois autosuffisante en opium. Ce qui allait bientôt devenir le Triangle d’Or produisait encore moins de 80 tonnes d’opium par an, c’est-à-dire très peu comparativement aux 35 000 tonnes que produisait la Chine en 1906 et aux 5 000 tonnes qui étaient récoltées aux Indes [9] . C’est en fait le radical changement politique chinois de 1949 – lui aussi fait de mondialisation, idéologique cette fois – qui allait réellement initier les dynamiques de développement du Triangle d’Or. Avec la fuite en Birmanie des troupes nationalistes du Kuomintang (KMT) de Chiang Kai-shek devant celles de l’Armée populaire de libération (APL) des communistes chinois, les données locales, régionales et mondiales allaient être profondément bouleversées. Dès 1950, l’APL victorieuse avait lancé des cultures de substitution dans le sud de la Chine et toute exportation d’opium vers l’Asie du Sud-Est, légale ou illégale, avait rapidement cessé [10] . Si la Chine allait régler son problème d’opiomanie de façon extrêmement rapide et drastique, l’Asie du Sud-Est, elle, allait prendre le relais de la production dans le cadre conflictuel de la guerre froide. La suppression soudaine de la production d’opium en Iran en 1955, d’autre part, n’allait que renforcer l’effet de vases communicants depuis la Chine vers l’Asie du Sud-Est, mais allait également stimuler les productions afghanes et turques et, à terme, favoriser l’émergence en Asie du Sud-Ouest de l’alter ego du Triangle d’Or, le Croissant d’Or.

La guerre froide, cet affrontement global entre deux blocs qui procédait de la peur de l’expansion mondiale du communisme, allait donner une impulsion décisive au développement du Triangle d’Or. La participation de la Central Intelligence Agency (CIA) des Etats-Unis dans le conflit qui opposait le KMT à l’APL, et les politiques des militaires français en Indochine, allaient instrumentaliser le marché prometteur de l’opium en Asie du Sud-Est. Menaces communistes et guerre d’Indochine, combinées avec l’existence d’une diaspora chinoise forte consommatrice d’opium, allaient permettre à l’espace de production illicite du Triangle d’Or d’émerger dans les hautes terres de l’éventail nord indochinois. En effet, Bangkok et Saigon furent les deux principaux centres de consommation d’opium à être reliés, par les opérations de la CIA et des militaires et services spéciaux français, aux zones de production du nord-est de la Birmanie et du nord de l’Indochine française. Le Triangle d’Or put notamment se développer en réponse à la demande d’un million d’opiomanes sud-est asiatiques [11] , et également en réponse aux besoins de financement des opérations secrètes des Etats-Unis et de la France. Ces interventions armées allaient avoir des conséquences imprévues, comme celle d’instrumentaliser et d’alimenter les tensions et conflits inhérents à la région. Dès 1948, avec l’indépendance de la Birmanie et le déclenchement de ses guérillas ethniques, et sous l’influence grandissante du communisme chinois dans tous les pays de la région, la production et le commerce de l’opium allaient prendre des dimensions extraordinaires, à la hauteur des revenus qu’ils permettaient de dégager. Ainsi, si les trois pays constitutifs du Triangle d’Or ne produisirent que quelque 700 tonnes d’opium en 1970, en 1996 ce sont toutefois plus de 2 300 tonnes qui furent récoltées dans la seule Birmanie, laquelle, avec l’Afghanistan, est toujours l’un des deux producteurs majeurs d’opium illicite au monde [12] .

Le Croissant d’Or, effet de prohibitions et de la guerre froide

L’émergence du Croissant d’Or, cet autre espace majeur de production illicite d’opiacés en Asie, à l’autre extrémité de la chaîne himalayenne et là aussi au contact des grands empires asiatiques et coloniaux, a également procédé de certaines des premières dynamiques de la mondialisation. C’est la Perse qui, en Asie du Sud-Ouest, s’engagea dans l’exportation de ses productions d’opium vers les monopoles des colonies d’Asie du Sud-Est et vers les industries pharmaceutiques européennes demandeuses de morphine (découverte au début du XIXe siècle), s’intégrant ainsi dans l’économie asiatique de l’opium et dans celle, mondiale, des opiacés, à usage pharmaceutique ou non.

Si la production et la consommation étaient traditionnelles en Perse et qu’elles n’y furent donc pas imposées par une puissance étrangère, comme en Chine, les raisons qui y poussèrent à la commercialisation de l’opium étaient toutefois similaires en un point à celles qui prévalurent dans l’Empire du Milieu. L’économie de la Perse, comme celle de la Chine, dépendait en effet en partie de son intégration dans l’économie mondiale qui affectait sa balance des paiements. Elle a en fait réellement commencé à exporter de l’opium en 1853 lorsque l’Europe s’est momentanément trouvée coupée de ses sources d’approvisionnement indiennes à la suite des guerres de l’opium sino-britanniques. En Perse, de la seconde moitié du XIXe à la première moitié du XXe siècle, l’importance économique de l’opium était loin d’être négligeable. Le pays avait en effet un tel besoin d’augmenter ses cultures de rapport (production d’opium, de coton, de soie et de tabac), afin d’être en mesure d’importer des biens manufacturés et certaines denrées alimentaires (sucre, riz), que les productions vivrières telles que celles du blé et de l’orge en furent négligées. On estime même que le recours croissant aux cultures de rapport aurait joué dans le déclenchement de la famine de 1871-1872 et aurait contribué aux conditions déterminant la malnutrition dont la population souffrait alors régulièrement.

C’est la production d’opium qui allait bénéficier de cette situation puisque 1 350 tonnes furent récoltées en Iran en 1936, contribuant ainsi à 40 % de la production mondiale de morphine [13] . Le commerce de l’opium tenait une place toute particulière dans l’économie comme dans la société iranienne puisque, vers le milieu des années 1930, l’Iran en tirait jusqu’à 15 % des revenus de son commerce extérieur [14] . Mais si les pressions diplomatiques étrangères et la volonté des dirigeants du pays visant à réduire la production et la consommation de l’opium se sont exercées dès 1920, un commerce lucratif et une population culturellement encline à la consommation d’opium n’ont toutefois pas permis que de réelles mesures prohibitives puissent être prises. Du moins pas avant que l’Iran ne compte 1,3 million d’opiomanes, soit un adulte sur neuf [15] . En 1949, on estimait ainsi que 11 % de la population iranienne consommait de l’opium, Téhéran ne comptant alors pas moins de 500 fumeries d’opium. Au milieu des années 1950, les deux millions d’opiomanes que comptait le pays consommaient jusqu’à deux tonnes d’opium par jour [16] .

En 1955, cédant en cela aux pressions prohibitionnistes des Etats-Unis, le Shah d’Iran bannit brusquement toute production et consommation d’opium, réduisant le nombre d’opiomanes à environ 300 000 en moins de trois ans et provoquant la disparition presque complète des cultures nationales de pavot à opium [17] . Certes, la mise en place de cette politique prohibitionniste réduisit très considérablement le nombre d’opiomanes en Iran. Mais les effets pervers ne furent pas longs à se faire sentir et un marché noir de l’opium se développa rapidement, en même temps que les productions turques, afghanes et pakistanaises s’adaptaient à l’émergence du marché illicite iranien. L’opium d’importation était payé en lingots d’or et les réserves iraniennes ne tardèrent pas à diminuer de façon inquiétante.

En juin 1969, le Shah décida donc de revenir sur sa politique prohibitionniste et lança un programme de culture de pavot sous licence d’Etat, au grand dam des Etats-Unis qui virent là une grave régression du développement des politiques antidrogue qu’ils avaient initiées à l’échelle mondiale. Le Shah, quant à lui, se contenta de répondre que l’Iran ne réviserait sa position que lorsque ses voisins immédiats s’engageraient dans la même voie prohibitionniste, désignant alors déjà clairement les interdépendances régionales et mondiales de l’économie des drogues illicites [18] . Les Etats-Unis redoutaient en fait surtout que l’explosion de la production turque, conséquence directe de la prohibition iranienne, mène à l’ouverture de marchés de consommation de substitution, en l’occurrence européen et américain [19]. L’Iran renouait donc avec son passé producteur et, en 1972, le pays comptait quelque 400 000 consommateurs, dont 105 000 fumeurs déclarés et enregistrés. Les 217 tonnes produites localement alimentaient les opiomanes légaux tandis que le reste – soit 195 tonnes – était importé du Croissant d’Or émergent, l’intégralité de la production afghane (entre 100 et 300 tonnes) étant alors exportée en Iran [20] . La consommation d’héroïne augmenta dès lors très rapidement en Iran, le marché noir de l’opium ne pouvant satisfaire tous les opiomanes. Ceux qui n’étaient pas légalement enregistrés préféraient en effet se tourner vers la consommation plus discrète de l’héroïne qui était alors produite dans les laboratoires clandestins de Téhéran. La prohibition iranienne, imposée par les Etats-Unis, aurait des effets pervers en ce que les productions turques et afghanes prendraient la relève iranienne mais que, surtout, une fois la Turquie également contrainte par Washington de procéder à l’éradication de ses champs de pavot à opium, la production, désormais largement criminalisée et non plus traditionnelle, serait exportée aux Amériques même, le Sierra Madre mexicaine devenant la principale source de l’héroïne consommée aux Etats-Unis au milieu des années 1970, avant que la Colombie n’émerge également plus tard [21] .

Mais ce n’est en fait qu’à la fin des années 1970 que le Croissant d’Or allait réellement émerger et s’installer en tant qu’espace de production illicite d’opium, deux évènements majeurs allant en effet initier cette profonde transformation de la scène régionale et mondiale du narcotrafic et de sa géopolitique. En effet, en mars 1979, l’Iran du Shah devenait la République islamique d’Iran et, en juin de la même année, l’Afghanistan était envahi par l’armée soviétique. Si l’Afghanistan des années 1970 produisait alors déjà de l’opium en quantités variables, comprises entre 100 et 300 tonnes annuelles, celui-ci était utilisé de la même façon qu’en Asie du Sud-Est, c’est-à-dire en tant que panacée, notamment pour ses effets analgésiques. En effet, les hakeem, ou soigneurs, prescrivaient l’opium comme remède à de nombreux maux et une grande partie des quelque 100 000 opiomanes que comptait l’Afghanistan durant les années 1970 le sont vraisemblablement devenus à l’issue de ces traitements médicaux pour le moins addictifs [22] . Certes, une prohibition de l’opium avait été instaurée en 1958 dans le pays, mais elle était restée lettre morte : les situations politique, économique et sociale internes de l’Afghanistan ne jouaient alors pas réellement en faveur d’une prise de position ferme d’un gouvernement confronté à de nombreux autres problèmes, d’autant plus que l’héroïnomanie était restée confinée à l’Iran. La configuration géographique et ethnosociale du pays n’aurait de toute façon pas permis au gouvernement de mettre en application des mesures concernant des régions tribales de production souvent éloignées, géographiquement et politiquement, du centre de pouvoir.

Concernant l’Afghanistan et le Pakistan, et à l’instar de la situation qui prévalut en Asie du Sud-Est, les puissances coloniales européennes, ici en l’occurrence les Britanniques, n’exercèrent qu’un contrôle très limité, voire nul, sur les populations tribales et la région frontalière qui liaient plus qu’elles ne séparaient les deux pays. Plus encore qu’en Asie du Sud-Est, où les périphéries montagneuses de Birmanie avaient été plus ou moins dédaignées par l’administration britannique, les espaces tribaux d’Afghanistan et du Pakistan avaient fait l’objet de politiques toutes particulières. Le coût et l’impact psychologique des défaites subies lors des deux guerres anglo-afghanes (1839-1843 et 1878-1880) n’avaient pas en effet joué en faveur des politiques britanniques interventionnistes et expansionnistes dites de la « Forward Policy ». Les Britanniques ne levèrent que très peu de taxes, sinon même parfois aucune, sur les activités marchandes de ces populations et cherchèrent à limiter la production d’opium dans cette région, voire à la supprimer, contrairement à ce qu’ils avaient fait ailleurs. Ainsi, en 1901, la North West Province de l’Empire des Indes ne produisait plus d’opium.

Mais la consommation, elle, n’avait pas pour autant disparu et de l’opium afghan de la région de Jalalabad était régulièrement importé [23] . Le statut actuel des territoires de la North West Frontier Province pakistanaise (NWFP) et des Federally Administered Tribal Areas (FATA, Territoires tribaux sous administration fédérale), où a été produit l’essentiel de l’opium pakistanais et d’importantes quantités d’héroïne, découle ainsi directement de ces politiques britanniques.

Ce n’est que bien plus tard, en 1978, que la prohibition de la production et de la consommation de l’opium (Prohibition Order ou Enforcement of Hadd) fut déclarée au Pakistan par le général Mohammed Zia ul-Haq pour l’année suivante [24] . La consommation avait été légale jusque-là et la récolte de 1979, qui devait légalement être la dernière, s’en trouva considérablement augmentée, atteignant ainsi un record de 800 tonnes [25] . Avec la révolution iranienne et ses mouvements de réfugiés, puis avec l’intervention soviétique en Afghanistan et la guerre qui s’ensuivit, les exportations illégales d’opium pakistanais (à destination de l’Iran, de la Turquie, de l’Europe et des Etats-Unis) furent, sinon interrompues, du moins très sérieusement entravées. Les stocks d’opium, d’autant plus importants que la récolte avait été exceptionnelle, s’accumulèrent à la suite d’une conjoncture sans précédent. La sécheresse de 1978 dans le Triangle d’Or ne fit en effet que rajouter aux dynamiques propres du Croissant d’Or émergent et, lorsque la production afghane doubla entre 1982 et 1983 (de 300 à 575 tonnes), le rétablissement des pluies de mousson sur les hautes terres de l’éventail nord indochinois avait déjà permis un fort regain de production en Birmanie et en Thaïlande [26] . Les trafiquants d’opium pakistanais se tournèrent alors vers la seule solution qui s’offrait à eux et qu’ils considéraient déjà depuis quelques années : la transformation de l’opium en héroïne et son exportation conséquente plus aisée [27] . Le résultat ne se fit bien sûr pas attendre et la population pakistanaise d’héroïnomanes explosa littéralement, passant de 5 000 en 1978 à 100 000 en 1983 et à plus d’un million en 1988 [28] . L’économie asiatique de l’opium était désormais interdépendante, les effets de vases communicants entre l’Asie du Sud-Est et l’Asie du Sud-Ouest répondant aux crises climatiques ou politiques, ainsi que les productions afghanes et birmanes l’ont encore montré entre 2000 et 2002.

Le Croissant d’Or n’émergea donc que lors des années 1970, environ deux décennies après le Triangle d’Or. Il se développa réellement dès 1979, bénéficiant d’un théâtre géopolitique régional bouleversé et de réseaux perturbés qui constituaient le terreau du développement de sa production d’opium et du trafic mondial qu’il engendrerait. Enfin, les contradictions flagrantes dont firent preuve entre eux les services spéciaux des Etats-Unis parachevèrent la mise en situation des différents acteurs du narcotrafic en Asie. Les échecs d’interdiction de la Drug Enforcement Administration (DEA) et les opérations secrètes de la Central Intelligence Agency (CIA) encourageant le trafic furent similaires dans le Croissant d’Or comme dans le Triangle d’Or, ne faisant que relier davantage les deux espaces majeurs mondiaux de production d’opium illicite.

Les émergences respectives du Triangle d’Or et du Croissant d’Or étaient donc accomplies et leur développement, qui ne faisait alors que commencer, n’est toujours pas abouti. Les deux espaces sont désormais liés par le marché commun de l’héroïne qui, à l’instar de beaucoup d’autres et suivant en cela une tendance générale, est devenu mondial. Aujourd’hui, le Triangle d’Or et le Croissant d’Or sont de loin les deux premiers espaces mondiaux de production d’opium et d’héroïne illicites. Ils fournissaient en effet 97 % de la production illicite mondiale d’opium en 1989 [29] , depuis leurs espaces nationaux et régionaux jusqu’aux grands centres de consommation occidentaux que sont l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Australie.

Multiplication des itinéraires du trafic, expansion de la consommation et de ses maux associés

Depuis les régions de production du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, et au cours des dernières décennies, l’acheminement des opiacés illicites, opium, morphine et héroïne, s’est fait au gré d’une complexification et d’une multiplication des itinéraires du narcotrafic. Ce phénomène procède lui aussi des processus de régionalisation et de mondialisation, les flux commerciaux et financiers s’étant dans le même temps considérablement accrus en nombre comme en importance. Si la mondialisation a été accélérée de la façon que l’on sait depuis le XIXe siècle, c’est principalement grâce aux apports considérables de la technologie aux moyens de communication, physique notamment. De même que le transport des pondéreux a profité de l’accroissement des distances parcourues en un temps sans cesse diminué, le trafic international des drogues illicites a également été profondément modifié.

Depuis les caravanes muletières des Chin Haw (Chinois musulmans) du sud de la Chine qui sillonnaient les sentes du Yunnan, de Birmanie, du Laos et de Thaïlande aux XVIIIe et XIXe siècles, jusqu’au transport aérien ou au cargo maritime du XXe siècle, la rapidité comme les quantités de drogues illicites transportées ont été d’autant plus augmentées que l’explosion du volume global des échanges commerciaux entre l’Asie, l’Afrique, l’Europe et les Amériques permettait aisément leur dissimulation dans le fret. En Asie du Sud-Ouest, si les caravanes de camélidés sont toujours utilisées par les trafiquants à travers les frontières afghane, iranienne et pakistanaise, l’accroissement du cabotage et du nombre de cargos, le long de la côte pakistanaise du Makran notamment, a là aussi accru le volume du trafic de l’héroïne, produit au demeurant fort peu volumineux et de moindre poids que l’opium.

Certes, le développement croissant des déplacements personnels, pour raisons commerciales, éducatives ou touristiques, a grandement contribué à la multiplication des acteurs prenant parti au trafic. Ainsi, les « mules », ces passeurs individuels qui embarquent ici et là à bord des avions longs courriers, sont de plus en plus nombreuses à être interceptées par les douanes du monde entier : Afghans, Chinois, Nigérians, Pakistanais, Philippins mais aussi ressortissants de pays occidentaux en provenance d’Islamabad, de Karachi, de Delhi, Bombay ou encore Bangkok. Désormais, toutes les routes et tous les moyens sont bons pour acheminer, au détail ou en gros, des drogues illicites depuis les régions de production jusqu’aux centres de consommation du Nord. Toutefois, l’héroïne qui est produite à partir de l’opium du Triangle d’Or et du Croissant d’Or est surtout acheminée vers les grands centres mondiaux de consommation, respectivement l’Amérique du Nord et l’Europe, via les routes terrestres et maritimes. Le fret aérien est en effet surveillé de façon très stricte, ce qui interdit l’envoi de toute quantité trop importante et restreint donc le trafic illicite à celui que les passeurs individuels pourront prendre en charge sur eux-mêmes ou dans leurs bagages.

D’autre part, comme nous l’avons vu, la production et le trafic de drogues illicites en Asie ont trouvé des terreaux fertiles d’abord dans les dynamiques politiques et économiques des colonisations, puis dans les affrontements de la guerre froide par acteurs interposés. Toutefois, d’autres aspects de la mondialisation, plus récents ceux-là, ont quant à eux favorisé la pérennisation des espaces de production du Triangle d’Or et Croissant d’Or et la diversification des routes d’exportation de leurs productions à travers le continent et vers les centres mondiaux de consommation.

Ainsi, si les évolutions récentes de la production illicite d’opiacés en Asie ont été rythmées principalement par la perpétuation de crises politico-territoriales d’échelles nationales en Birmanie et en Afghanistan – les économies de guerre civile se nourrissant aisément des économies de la drogue et vice versa –, la diversification et la complexification des routes du trafic ont quant à elles correspondu à des bouleversements politico-territoriaux d’échelle transfrontalière et régionale avec, surtout, la chute de l’Union soviétique et l’accès à l’indépendance des républiques d’Asie centrale.

La fin d’une certaine période conflictuelle de la mondialisation, celle de la guerre froide, a certes imposé aux acteurs des théâtres des conflits afghan et birman de modifier leurs sources de financement, en substituant les revenus des drogues illicites aux subsides étrangers qu’un camp ou que l’autre versait depuis des décennies. Mais elle a également permis, à travers la modification majeure de la scène géopolitique asiatique à laquelle elle a contribué, que les narcotrafiquants bénéficient de nouvelles opportunités pour développer leur commerce. En effet, le regain de production d’opium auquel on a pu assister tant en Afghanistan qu’en Birmanie à partir de la fin des années 1980 et surtout du début des années 1990 a également correspondu, de part et d’autre, à la réouverture commerciale de frontières qui étaient longtemps restées fermées, voire hermétiques.

Depuis le Triangle d’Or…

L’ouverture récente des 1 154 kilomètres de la Burma Road (de Lashio, en Birmanie, à Kunming, en Chine), après sa reconstruction en 1937 par la Chine, répondait certes à un objectif géostratégique et géopolitique qui est encore aujourd’hui, sinon plus que jamais, d’actualité : celui de l’accès chinois à l’Asie du Sud-Est et à l’Océan indien, via la Birmanie. Mais c’est la réouverture de cette route, résultant de motivations politiques chinoises d’accès géographique, qui a, sinon permis, du moins favorisé l’explosion du narcotrafic en Chine au cours années 1990, comme la véritable épidémie cumulée d’héroïnomanie et de VIH / sida qui s’y développe désormais. Ainsi, à titre d’exemple, entre 1962 et 1988, lorsque le commerce frontalier avec la Chine était fermé, la précieuse jadéite, qui, en Birmanie, alimentait la caisse de guerre de la Kachin Independence Organization (KIO) et expliquait donc son très faible recours à l’économie de l’opium (comparativement à certains mouvements shan par exemple, donc celui du « roi de l’opium » Khun Sa), était exportée, comme l’opium et l’héroïne, vers Hong Kong via la Thaïlande (Chiang Maï). Mais, après 1988 et l’ouverture de la frontière sino-birmane au commerce, la jadéite et l’héroïne ont pris la même « nouvelle » route, celle de la Chine, via les villes frontalières chinoises du Yunnan de Ruili et Wanting qui, comme Mae Saï et Mae Sot en Thaïlande, abondent en commerces de pierres précieuses et en narcotrafiquants.

La Chine est désormais devenue la principale voie d’exportation de l’héroïne birmane ainsi qu’un axe significatif du trafic de methamphétamine (une drogue de synthèse, produite en masse dans l’est de la Birmanie), les saisies chinoises d’héroïne birmane comptant pour 90 % de celle d’origine sud-est asiatique. D’ailleurs, et de façon significative, les proportions alarmantes que prend le narcotrafic dans la périphérie du Triangle d’Or, ont même poussé la Chine à accepter l’implantation d’une station d’écoute et d’observation états-unienne près de Ruili dès 1995. Sa mission est de surveiller les mouvements des narcotrafiquants le long des 1 200 kilomètres de frontière sino-birmane, et son implantation, ainsi que la première visite officielle d’un « tsar antidrogue » des Etats-Unis en 2000, montre clairement avec quel sérieux la Chine considère la menace posée par le narcotrafic.

Longtemps concentrés en Thaïlande, dont le réseau routier est particulièrement bien développé pour la région, les itinéraires empruntés par les trafiquants d’héroïne du Triangle d’Or ont donc été réorientés lors de la dernière décennie (carte 2). L’intensification de la lutte antidrogue menée par les forces thaïlandaises d’une part, et l’ouverture de la Chine et de l’Inde du Nord-Est au commerce continental d’autre part, ont permis et encouragé une importante diversification des itinéraires du narcotrafic depuis la Birmanie. Les flux de « China White », l’héroïne n° 4, pure à 98 %, ont ainsi progressivement délaissé la Thaïlande au profit du Yunnan, du Laos et des Etats indiens du Nord-Est : l’Arunachal Pradesh, Nagaland, Manipur et Mizoram, tous frontaliers de la Birmanie.

Depuis cette réorientation des routes de l’héroïne, la Thaïlande a toutefois connu une nouvelle vague de trafic de drogues illicites, la methamphétamine (yaa baa en thaï), produite massivement dans les laboratoires de la United Wa State Army [30] étant écoulée presque totalement vers les centres de consommation urbains et ruraux thaïlandais [31] . Si plusieurs centaines de milliers de pilules de methamphétamine birmane ont été saisies pour la première fois en Europe en 2001 (Suisse), cette production est toutefois majoritairement destinée à la consommation régionale d’Asie du Sud-Est. Quant à l’héroïne birmane, si elle est certes vendue en Asie, elle est surtout exportée en Australie et en Amérique du Nord, via Hong Kong, et Taiwan par exemple.

Les itinéraires de ce trafic international empruntent les routes d’Asie en favorisant l’apparition et surtout, la croissance de la consommation en Inde et en Chine, importants pays de transit. C’est aussi via les routes de l’héroïne que le trafic et la consommation par voie intraveineuse propagent de façon alarmante l’épidémie du VIH / sida et diverses hépatites. Il semble désormais que la pandémie du sida se développe, en Asie tout au moins (Asie centrale et Chine, mais aussi Russie), d’abord parmi les consommateurs d’héroïne, avant même de concerner les autres populations à risque, prostitué(e)s notamment. Ainsi, le Yunnan et le Manipur, par où passent certains de ces nouveaux itinéraires du narcotrafic d’origine birmane, sont de loin les régions chinoise et indienne les plus affectées par le VIH/sida. Le phénomène tend d’ailleurs à se répéter tant au Kazakhstan qu’en Sibérie orientale, avec de l’héroïne provenant pour partie du Triangle d’Or mais aussi et surtout du Croissant d’Or [32] .

…et depuis le Croissant d’Or…

Pendant les décennies 1980 et 1990, l’Iran et le Pakistan ont connu, à partir de l’Afghanistan et de sa production croissante [33] , une augmentation régulière du narcotrafic : le Pakistan principalement à cause de son rôle et de celui de la CIA dans la guerre d’Afghanistan, et l’Iran, à cause de sa localisation géographique, de son rôle historique d’axe caravanier majeur et de sa longue tradition de consommation. Toutefois, lors de la dernière décennie, les efforts déployés par les forces pakistanaises et iraniennes dans le cadre de la lutte antidrogue se sont intensifiés et les saisies se sont multipliées. Mais l’Afghanistan exporte toujours ses productions d’opium et d’héroïne vers le Pakistan, via la North West Frontier Province et les réseaux de narcotrafiquants de la région de Peshawar d’une part, et via le Baloutchistan d’autre part. Du Pakistan, des flux contraires de précurseurs chimiques nécessaires à la fabrication d’héroïne pénètrent quant à eux en Afghanistan, comme les armes le faisaient durant la guerre soviéto-afghane, via, entre autres, le poste-frontière de Torkham, entre la Khyber Pass et Jalalabad. Cette route qui relie Kaboul à Peshawar est, pour diverses raisons, l’une de plus importantes voies du narcotrafic entre les deux pays. En effet, la province du Nangrahar est l’une des toutes premières régions de production afghane et d’importants marchés de l’opium existent le long de cet axe commercial majeur.

Avant que, dans les années 1990, la lutte antidrogue ne diminue considérablement le nombre des laboratoires de transformation d’héroïne dans les zones tribales du Pakistan, les itinéraires du narcotrafic empruntaient les routes allant à Karachi mais aussi les pistes de contrebande à destination de l’Inde et, surtout, de l’Iran. La république islamique a toutefois rompu de façon on ne peut plus claire avec les us et coutumes perses du commerce de l’opium. En effet, Téhéran a désormais mis en place un gigantesque dispositif de lutte antidrogue sur son territoire, équipant ses frontières afghane et pakistanaise de barrières, fossés et miradors, construit des barrages en travers de ses vallées et des routes frontalières pour les très nombreuses patrouilles de ses forces antidrogue. Cette lutte que mène l’Iran contre le trafic d’opiacés en provenance d’Afghanistan, directement ou via la North West Frontier Province et le Baloutchistan pakistanais, lui coûte une véritable fortune, tant financièrement qu’humainement, les pertes en hommes étant extrêmement importantes.

Mais, au cours de la dernière décennie, la scène régionale du narcotrafic a connu de profonds changements. En effet, en ayant fortement contribué à la chute annoncée de l’Union soviétique, le conflit soviéto-afghan, qui a pris fin en 1989, a bouleversé l’échiquier géopolitique régional et même mondial et donc notamment contribué à la réorientation des flux de drogues illicites. Avec la dissolution de l’URSS, l’Afghanistan perdait sa fonction stratégique et historique d’Etat-tampon, héritée des rivalités impériales du Great Game entre Russes et Britanniques. Il devenait aussi moins enclavé puisque après plus d’un siècle de fermeture quasi hermétique, ses frontières septentrionales étaient soudainement rouvertes et le commerce avec les républiques nouvellement indépendantes d’Asie centrale (1991) redevenait possible, lui permettant ainsi de retrouver son statut historique de carrefour des routes commerciales régionales et continentales. L’occupation soviétique de l’Afghanistan avait en effet perturbé les vieilles routes de la contrebande régionale jusqu’à les couper. Le commerce avait donc été détourné vers le Pakistan, les marchands de Herat ne se rendant alors plus à Meched, en Iran, mais, via Kandahar, à Quetta, au Pakistan. Toutefois, avec la fin du conflit qui l’opposait à l’URSS, l’Afghanistan renouait alors aussi avec son passé de territoire convoité, ou au moins avec les rivalités historiques des Etats voisins qui, cherchant tous à y étendre leurs aires d’influence respectives, ont fait du conflit afghan un conflit à forte dimension transnationale.

Depuis le Croissant d’Or et son espace majeur de production d’opiacés illicites – l’Afghanistan –, les routes de l’opium et de l’héroïne ont donc connu d’importants bouleversements, notamment liés à la répression iranienne et à l’ouverture de certaines frontières et régions d’Asie au commerce continental (carte 2). Mais c’est à partir de 1994 qu’une autre modification de la scène politico-territoriale, afghane cette fois, a profondément bouleversé la géographie des axes de communication de la région en permettant réellement la réouverture des liens physiques entre l’Asie centrale et l’Asie du Sud. L’avancée rapide des taliban dans le pays a en effet permis, dès 1994, sinon la réouverture de l’axe routier majeur allant du Pakistan au Turkménistan, via Herat en Afghanistan, du moins sa fréquentation en toute sécurité. Le contexte politique et commercial plus large de l’émergence des taliban était en effet celui qui correspondait à un besoin réel du Pakistan d’ouvrir des routes commerciales avec l’Iran, et surtout avec l’Asie centrale, laquelle n’était alors ouverte que depuis trois ans mais inaccessible en raison de la forte insécurité qui caractérisait le territoire afghan, soumis aux incessantes rivalités de ses multiples commandants locaux.

C’est dans ce contexte que le Turkménistan et, plus largement, l’Asie centrale, ont émergé au milieu des années 1990 en tant qu’itinéraire privilégié du narcotrafic, principalement à la suite de l’apparition sur la scène afghane du mouvement des taliban, la conquête de l’Afghanistan par ces derniers étant directement liée au rôle stratégique vital de la route reliant d’une part Quetta, au Pakistan, à Achkhabad, au Turkménistan, via Kandahar, et d’autre part, via Herat, Quetta à Meched, en Iran. Face aux répressions iranienne et pakistanaise, et grâce aux indépendances récemment acquises par ses républiques, c’est donc l’Asie centrale qui, au cours des années 1990, est devenue l’exutoire majeur du narcotrafic d’origine afghane. Ainsi, le Turkménistan, certes, mais aussi l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizstan, le Kazakhstan et, plus au nord, la Russie, voient désormais transiter d’importantes quantités d’héroïne sur leurs territoires respectifs.

Et là aussi, comme en Chine et dans le nord-est de l’Inde, l’épidémie du VIH / sida témoigne du recours croissant que font les narcotrafiquants aux routes d’Asie centrale. Une importante partie de l’opium afghan passe toutefois toujours par l’Iran, ainsi qu’en témoignent les saisies qui sont régulièrement effectuées en Turquie, où l’opium est transformé en héroïne ou exporté en Europe de l’Est afin de l’être. Les itinéraires méridionaux sont donc loin d’avoir été totalement délaissés. Ainsi, le Baloutchistan pakistanais, qui partage environ 1 200 kilomètres de frontière avec l’Afghanistan, 900 avec l’Iran, et en possède 700 de côtes (Makran), reste encore le lieu privilégié de tous les trafics en provenance ou à destination de l’Afghanistan, qu’il s’agisse de biens de consommation courants, de pétrole ou bien sûr de drogues illicites.

…vers le reste du monde.

Que ce soit en empruntant les routes des Balkans, de la Russie, du Caucase ou d’Asie centrale, où les processus de décomposition territoriale et politique et les conflits qui caractérisent les régions de l’ex-URSS facilitent bien sûr grandement le développement des routes du narcotrafic, et où les consommateurs se font de plus en plus importants, les opiacés du Croissant d’Or rejoignent principalement les marchés de consommation d’héroïne de l’Europe orientale et occidentale. Si ces flux originaires d’Asie du Sud-Ouest prennent donc la direction de l’ouest, ceux d’Asie du Sud-Est, du Triangle d’Or, eux, ont tendance aller vers l’est, pour alimenter principalement l’Amérique du Nord en héroïne (carte 3) [34] . La Chine, certes, est également parcourue par les itinéraires du trafic international des drogues illicites en provenance de Birmanie, et constitue désormais un marché de consommation en pleine expansion, au même titre que les régions les plus reculées de la Russie sibérienne.

Mais l’Afrique est également devenue un centre important du trafic de l’héroïne du Triangle d’Or et surtout du Croissant d’Or, via les côtes orientales du continent et, par voie aérienne, via le Nigeria, véritable plaque tournante régionale. Il apparaît donc, à travers le phénomène de complexification et de multiplication des itinéraires du narcotrafic des opiacés asiatiques, et ainsi que l’établit le rapport mondial sur les drogues rédigé par le bureau des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime (OCDPC), que « le trafic des drogues se caractérise par une tendance à la mondialisation et à la multiplication des itinéraires, le nombre des pays et territoires faisant état de saisies de drogues étant passé de 120 en 1980-81 à 170 en 1997-98 ».

D’autre part, les Nations unies « soulignent que le problème des drogues a des répercussions encore plus vastes, qui tiennent à la fois à la propagation des maladies infectieuses, au blanchiment d’argent, à la corruption et au financement de groupes rebelles ou terroristes… Plus de 130 pays et territoires, appartenant tant au monde développé qu’au monde en développement, signalent désormais à l’OCDPC l’existence de problèmes liés à l’abus des drogues » [35] .

Le trafic international des drogues illicites, qui a procédé de certains processus de mondialisation parmi les plus anciens et les plus récents, est désormais bel et bien ancré dans la mondialisation moderne des échanges, notamment en se développant dans les espaces de dépression économique et politique dont le monde recèle sur tous les continents. Mais il est un aspect de la mondialisation qui a ses origines au début du XIXe siècle et dont les impacts et les conséquences – sur les conditions politiques, économiques et territoriales qui ont permis la production, le trafic et la consommation des drogues illicites – sont incontournables pour comprendre la situation mondiale actuelle. En effet, lorsque l’on considère que les deux principaux pays producteurs illicites d’opiacés au monde, l’Afghanistan et la Birmanie, sont – ou ont été jusqu’à récemment pour le premier – deux Etats paria mis au ban de la communauté internationale, alors le régime global de prohibition de certaines drogues – avatar juridique de la mondialisation – prend tout son sens. Car la prohibition, en plus de rentabiliser le commerce illicite, autorise et, même, justifie, l’imposition de sanctions et d’embargos.

L’Afghanistan et la Birmanie ont en effet tous les deux connu une considérable augmentation, voire une explosion, de leurs productions respectives d’opiacés qui a correspondu à l’ouverture ou à la réouverture (potentielles) du pays au commerce extérieur et à l’économie de marché. Dans les deux pays, la réouverture des axes de communication externe, vers l’Asie centrale et la Chine, se sont traduits par l’accroissement significatif du narcotrafic le long de ces routes d’un certain renouveau commercial. Dans les deux pays, les régimes au pouvoir ont clairement toléré le développement de l’économie de la drogue, et ils en ont bénéficié, au moins par la taxation (taxes islamiques pour les taliban : zakat, ushr) et les accords de cessez-le-feu (entre la junte birmane et certains groupes armés, notamment la United Wa State Army). La communauté internationale, en imposant leur isolement économique et diplomatique, en faisant de ces deux pays des Etats parias, n’a pas résolu les problèmes qu’elle voulait résoudre. S’il n’existe certes pas de lien causal direct et absolu entre l’isolement diplomatique de l’Afghanistan et de la Birmanie et l’augmentation de leurs productions de drogues illicites, il est néanmoins permis de penser que les sanctions qui leur ont été imposées ont pu encourager le recours à l’économie de la drogue par des populations et dans des pays de plus en plus isolés. La politique internationale d’isolement de la Birmanie et de l’Afghanistan n’ayant pas semblé avoir un effet positif sur leurs conflits internes, sur l’état des questions démocratiques et des droits de l’homme, ou sur celui de la production de drogues, il est alors permis de penser que, dans une certaine mesure, isolement et sanctions n’ont d’incidence que sur les conséquences engendrées par les situations, et non pas sur leurs causes. Ainsi, si l’isolationnisme a certainement pu favoriser le développement de l’économie des drogues illicites en Birmanie et en Afghanistan, l’isolement international l’a sans aucun doute encouragé.

Ainsi, en Afghanistan comme en Birmanie l’économie de l’opium affiche une très nette dimension politique, géopolitique même. Les contextes politiques y prévalent en effet très nettement, ou peuvent y prévaloir, sur les conditions économiques, ainsi que les coïncidences entre les occurrences politiques majeures – dans les deux pays ou dans ceux du Croissant d’Or et du Triangle d’Or – et les évolutions des productions tendent clairement à le montrer. Le marché de l’opium relève d’une problématique géopolitique à part entière et son développement, positif ou négatif, relève plus de facteurs politiques qu’économiques dès lors que ce sont les rapports de forces et les relations de pouvoir entre les différents acteurs (commandants locaux afghans, junte birmane et rebellions armées), et leurs traductions territoriales, qui déterminent l’étendue et l’intensité des productions.

D’autre part, de la même façon qu’il a pu être dit que la drogue était le nerf de la guerre et qu’elle pouvait en devenir son enjeu [36] , si en Birmanie les décisions politiques majeures ont très nettement contribué à l’augmentation de la production d’opium, c’est, comme désormais en Afghanistan, la prépondérance économique et stratégique de l’opium, son importance en tant qu’outil de négociation et de tractation, qui définissent en partie la latitude des décisions politiques qui peuvent être prises par les différents acteurs du système, qu’il s’agisse des Etats, des organisations internationales, ou encore des narcotrafiquants. Le dilemme est le même pour la junte birmane que celui qui existait pour le régime taliban en Afghanistan, où les impératifs de politique intérieure sont incompatibles avec ceux de la politique extérieure. Ne pas s’allier aux armées ethniques et narcotrafiquantes en Birmanie, ou s’aliéner les paysans producteurs d’opium en Afghanistan, reviendrait tout simplement pour les pouvoirs en place à échanger un semblant d’autorité interne contre une reconnaissance externe partielle et à la valeur toute relative sur la scène géopolitique intérieure. On peut observer à travers ces exemples que des décisions politiques ont très clairement rythmé le développement de la production d’opiacés, et que si les conditions économiques et les motivations qu’elles ont pu susciter ont certes provoqué un recours à l’économie de la drogue, c’est dans une large mesure grâce à ces décisions politiques qui les ont rendues possibles.

L’importance du facteur politique dans le développement de l’économie des drogues illicites, donc, est d’autant plus évident que si la production, le commerce et la consommation sont frappés d’illégalité, c’est avant toute autre chose en raison de l’application mondiale des logiques prohibitionnistes. En effet, le « régime global de prohibition des drogues » a en quelque sorte rentabilisé le recours à l’économie des drogues illicites, en Afghanistan et en Birmanie, certes, mais aussi dans nombre d’autres pays [37] .

Mondialisation et caractère illicite de certaines drogues

Quintessence de l’économie informelle puisque économie illégale, certes, mais concernant des produits illicites, l’économie des drogues illicites est clairement le résultat de l’intervention étatique à l’échelle mondiale. Ethan A. Nadelmann explique en effet comment la place de l’Etat et de la loi, des normes internationales, constitue un aspect fondamental de la problématique des drogues (licites et illicites) dans le monde d’aujourd’hui [38] .

D’une part, les « régimes globaux de prohibition » des drogues témoignent de la nature des relations Nord-Sud dès lors que l’on prend conscience que « la construction des normes internationales constitue un enjeu et un instrument de pouvoir de certains d’entre eux, notamment du Nord sur le Sud » [39] . D’autre part, phénomène politique par excellence et fondamentalement à l’origine de l’ampleur prise par l’économie illégale des drogues illicites, la prohibition, en imposant le caractère illicite de certaines drogues et de leur commerce, « différencie cette activité des autres formes de capital : la rotation du capital est très élevée et les marges des bénéfices très importantes ». La prohibition permet de dégager des « profits élevés qui dynamisent l’économie de la drogue malgré son illégalité ; mais c’est aussi parce qu’elle est illégale et risquée qu’elle est hautement rentable » [40] . Ainsi, le commerce des drogues illicites procède d’une « économie dynamisée par la répression » [41] alors que, comme le remarque justement Guillermo R. Aureano, la prohibition, elle, « procède d’un ensemble de décisions politiques, qui définissent la légalité ou l’illégalité d’une drogue, et déterminent donc ses conditions de production, celles de sa commercialisation et de son usage » [42] . La production, le trafic et la consommation de drogues ne se développent que lorsqu’elles bénéficient, à une échelle ou à une autre dans le monde fini qui est le nôtre, de conditions politiques qui leur sont favorables [43] , ainsi que l’histoire de l’industrie pharmaceutique ne cesse de l’indiquer.

La prohibition telle que nous la connaissons actuellement est l’aboutissement d’un processus historique dont les origines remontent au début du XXe siècle, lorsqu’un régime international de contrôle des drogues a été élaboré par les Etats-Unis. Là encore, l’adoption des logiques et des politiques prohibitionnistes a procédé des dynamiques de la mondialisation, en l’occurrence de certaines formes d’impérialisme, culturel (moral et éthique), économique, législatif et militaire. En effet, les « puissances européennes ont efficacement contesté la position prohibitionniste des Etats-Unis jusqu’à la fin des années 1950, au moment où elles ont cessé de tirer des profits fiscaux du commerce du pavot et du chanvre dans leurs colonies » [44] .

Désormais, à l’échelle mondiale, les normes en matière de drogues illicites relèvent de l’adoption de trois textes par les Nations unies, la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention sur les substances psychotropes de 1971 et la Convention contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes de 1988 [45] . Enfin, diverses instances internationales appliquent les principes de ces traités, ou du moins tentent de les faire respecter : l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), et l’Organe pour le contrôle des drogues et la prévention du crime (ODCCP), dont dépend le Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID). Il ne faut pas omettre, dans ce dispositif international de lutte contre les drogues illicites et leurs maux sanitaires et financiers associés, des institutions telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation internationale de la police criminelle (OIPC, ou Interpol), le Conseil de coopération douanière (CCD) et le Groupe d’action financière internationale (GAFI, créé par le G-7). Certes, organisations nationales et régionales ne manquent pas non plus dans ce paysage législatif et répressif avec, par exemple, pour les régions d’Asie principalement concernées, le Office of the Narcotics Control Board (ONCB) thaïlandais et la Shanghai Cooperation Organization (SCO, anciennement Shanghai Five) qui réunit la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, la Russie et le Tadjikistan.

Les drogues illicites font donc plus que jamais partie du processus de mondialisation, que cela concerne les trafiquants qui bénéficient directement de la prohibition, ou de celui des Etats qui, en menant leur « guerre à la drogue », profitent indirectement de l’opportunité que leur production et leur commerce fournissent à leurs interventionnismes respectifs. En effet, depuis que l’administration Nixon l’a déclarée en 1971, la guerre à la drogue est menée par de nombreux Etats à l’échelle mondiale, depuis l’Amérique latine jusqu’en Asie, en passant par l’Europe et l’Afrique. Elle est désormais d’autant plus justifiée, ou du moins perçue comme telle par les sociétés, qu’elle est considérée comme le corollaire indispensable de la guerre contre le terrorisme, une autre activité transnationale que la mondialisation et les rapports de forces quasi impériaux qui ont été les siens jusqu’à la fin de la guerre froide ont grandement facilitée.

La problématique des drogues illicites est riche d’enseignements dans un monde dont l’interdépendance se fait croissante et dans lequel les disparités et les inégalités sont de plus en plus révélées et exploitées par les dispositifs transnationaux qu’acteurs étatiques et non-étatiques élaborent. En effet, la géographie des drogues illicites est à considérer au regard de celle de la distribution mondiale et asymétrique du pouvoir, des richesses et des revenus, et de ses impacts sur les crises et les conflits. La mondialisation contient, à travers les inégalités qui sont les siennes, mais aussi à travers l’imposition d’un régime global de prohibition, les germes et les conditions du recours à l’économie des drogues illicites.

[1] Pierre-Arnaud CHOUVY est géographe, chargé de recherches au CNRS (UMR 8586 PRODIG) et membre de l’Observatoire géopolitique de la criminalité internationale (www.ogci.org). Ses recherches portent sur les territoires en crise d’Asie et les activités illicites qui y ont cours. Il est l’auteur de deux ouvrages : Les territoires de l’opium. Conflits et trafics du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, aux éditions Olizane (Genève, 2002) ; et, en collaboration avec Joël MEISSONNIER, Yaa Baa – Production, trafic et consommation de méthamphétamine en Asie du Sud-Est continentale, aux éditions L’Harmattan – IRASEC (Paris – Bangkok, 2002). Il produit Geopium, Géographie et Opium : http://www.geopium.org.

[2] Anne COPPEL, Consommation : les paradis artificiels sont-ils éternels ?, in Guy DELBREL, Géopolitique de la drogue, CEID, Paris, La Découverte Documents 1991 : 16. Voir également, à propos de l’histoire de la prohibition des drogues et de ses impacts et conséquences : David T. COURTWRIGHT, Forces of Habit. Drugs and the Making of the Modern World, Cambridge, Harvard University Press, 2001 ; R. DAVENPORT-HINES, The Pursuit of Oblivion. A Social History of Drugs, Londres, Phoenix, 2001.

[3] Voir notamment, à propos de la place des drogues dans les sociétés humaines : Antonio ESCOHOTADO, A Brief History of Drugs. From the Stone Age to the Stoned Age, Rochester, Park Street Press, 1999 ; Richard RUDGLEY, Essential substances. A cultural history of intoxicants in society, New York, Kodansha, 1995 ; Richard E. SCHULTES, Albert HOFMANN, Les plantes des dieux, Paris, Les éditions du Lézard, 1993.

[4] Charles-Henri de CHOISEUL PRASLIN, La drogue, une économie dynamisée par la répression, Paris, Presses du CNRS, 1991.

[5] Les Britanniques se sont toujours déchargés de l’administration des Etats shan, qu’ils n’ont jamais occupés, au profit des Sawbwa, les représentants héréditaires locaux des Shan, qui s’opposèrent à toute suppression de la production comme du commerce de l’opium. : Alfred W. McCOY, The Politics of Heroin. CIA Complicity in the Global Drug Trade, New York, Lawrence Hill Books, 1991 : 109.

[6] Alfred W. McCOY, 1991 : 103.

[7] Alfred W. McCOY, 1991 : 119.

[8] Alfred W. McCOY, 1991 : 115.

[9] Alfred W. McCOY, 1991 : 115.

[10] La politique antidrogue en Chine communiste se développa surtout à partir de 1952, date du début de la première grande campagne antiopium communiste : ZHOU YONGMING, Anti-Drug Crusades in Twentieth Century China. Nationalism, History, and State Building, Lanham, Rowman & Littlefield, 1999: 149-161.

[11] Alfred W. McCOY, 1991 : 130.

[12] U.S. DEPARTMENT OF STATE, International Narcotics Strategy Control Report 1997, Bureau for International Narcotics and Law Enforcement Affairs, Department of State, Washington, DC, 1998.

[13] Andre McNICOLL, Drug Trafficking : A North-South Perspective, Ottawa, The North-South Institute / L’Institut Nord-Sud, 1983 : 33-36.

[14] Ahmed SEYF, « Obstacle to the Development of Capitalism : Iran in the Nineteenth Century », Middle Eastern Studies, Vol. 34 N° 3, July 1998 : 54-82.

[15] Alfred W. McCOY, 1991 : 443.

[16] Martin BOOTH, Opium : a History, New York, St. Martin’s Press, 1998 : 252-253.

[17] Andre McNICOLL, 1983.

[18] Alfred W. McCOY, 1991 : 443.

[19] Andre McNICOLL, 1983. La Turquie proscrira la culture du pavot à opium en 1972, à la suite des très importantes pressions des Etats-Unis.

[20] Alfred W. McCOY, 1991.

[21] Alfred McCOY, 1991 : 395-395.

[22] Andre McNICOLL, 1983 : 34.

[23] Alfred W. McCOY, 1991.

[24] Voir notamment : Mariam ABOU ZAHAB, « Pakistan : d’un narco-Etat à une « success story » dans la guerre contre la drogue ? », CEMOTI, n° 32, Dossier « Drogue et politique », 2001 : 141-158.

[25] Alain LABROUSSE, communication personnelle, septembre 2000.

[26] Alfred W. McCOY, 1991 : 439.

[27] Catherine LAMOUR, Michel R. LAMBERTI, Les grandes manoeuvres de l’opium, Paris, Editions du Seuil, 1972.

[28] Najma SADEQUE, Pakistan : National Upheavals, Regional Repercussions : “God’s Medicine bedevilled”, in Michael L. SMITH, Why people grow drugs : Narcotics and Development in the Third World, London, Panos Publicatons, 1992 : 55-56.

[29] Alfred W. McCOY, 1991 : 13.

[30] Armée « ethnique » issue de l’implosion du PC birman et désormais alliée de Rangoun dans sa lutte contre les Shan de la Shan State Army. Voir : Pierre-Arnaud CHOUVY, « Drugs and war destabilise Thai-Myanmar border region », Jane’s Intelligence Review, Vol. 14 n° 4, April 2002 : 33-35 ; « New drug trafficking routes in Southeast Asia », Jane’s Intelligence Review, Vol. 14 n° 4, April 2002 : 33-35 (articles consultables sur www.geopium.org).

[31] Pierre-Arnaud CHOUVY, Joël MEISSONNIER, Yaa baa. Production, trafic et consommation de methamphétamine en Asie du Sud-Est continentale, Paris / Bangkok, L’Harmattan / IRASEC, 2002.

[32] Pierre-Arnaud CHOUVY, « Asie, la route commune du narcotrafic et du sida », Peddro, numéro spécial « Abus des drogues et sida », Unesco – Onusida, décembre 2001 : 13-15 (article consultable sur www.geopium.org).

[33] La production afghane d’opium avait augmenté progressivement durant la guerre, doublant en 1982-1983 pour atteindre 575 t., et plus encore en 1986-1987 en passant de 350 à 800 t. Enfin, en 1999, après un troisième doublement de sa production, l’Afghanistan a produit 4600 tonnes d’opium.

[34] Pierre-Arnaud CHOUVY, « Les itinéraires majeurs du narcotrafic en Asie », in Michel FOUCHER (Dir.), « Asies Nouvelles », Paris, Belin, 2002 : 172, 173. Pour plus de détails concernant les routes du narcotrafic en Asie, voir : Pierre-Arnaud CHOUVY, Les territoires de l’opium. Conflits et trafics du Triangle d’Or et du Croissant d’Or, Genève, Olizane, 2002.

[35] UNITED NATIONS, World Drug Report 2000, Oxford, Oxford University Press, United Nations Office for Drug Control and Crime Prevention, 2000. Document disponible via Internet sur le site Web de l’UNODC : http://www.unodc.org

[36] Alain LABROUSSE, Michel KOUTOUZIS, Géopolitique et géostratégie des drogues, Paris, Economica, 1996.

[37] Voir le dossier « Drogue et politique » du numéro 32 des CEMOTI (2001), coordonné par Guillermo AUREANO et Pierre-Arnaud CHOUVY : http://www.ceri-sciencespo.com/publica/cemoti/presente.htm (et la page consacrée à ce numéro sur Geopium).

[38] Ethan A. NADELMANN, « Régimes globaux de prohibition et trafic international de drogue », Revue Tiers Monde, t. XXXIII, n° 131, « Drogues et développement », 1992 : 537-552.

[39] Ethan A. NADELMANN, 1992 : 538.

[40] George FONSECA, « Economie de la drogue : taille, caractéristiques et impact économique », Revue Tiers Monde, t. XXXIII, n° 131, « Drogues et développement », 1992 : 491.

[41] Charles-Henri de CHOISEUL PRASLIN, 1991.

[42] Guillermo R. AUREANO, « L’Etat et la prohibition de (certaines) drogues », CEMOTI, n° 32, Dossier « Drogue et politique », 2001 : 19.

[43] Pierre-Arnaud CHOUVY, « L’importance du facteur politique dans le développement du Triangle d’Or et du Croissant d’Or », CEMOTI, n° 32, Dossier « Drogue et politique », 2001 : 69-86.

[44] Guillermo R. AUREANO, 2001 : 20. Voir également les excellents ouvrages : David T. COURTWRIGHT, Forces of Habit. Drugs and the Making of the Modern World, Cambridge, Harvard University Press, 2001 ; R. DAVENPORT-HINES, The Pursuit of Oblivion. A Social History of Drugs, Londres, Phoenix, 2001.

[45] Le texte des trois conventions est disponible en ligne : http://www.undcp.org/un_treaties_and_resolutions.html (page consultée le 28 mai 2002).

About the author

Pierre-Arnaud Chouvy

ENGLISH
Dr. Pierre-Arnaud Chouvy holds a Ph.D. in Geography from the Sorbonne University (Paris) and an HDR (Habilitation à diriger des recherches or "accreditation to supervise research"). He is a CNRS Research Fellow attached to the PRODIG research team (UMR 8586).

FRANCAIS
Pierre-Arnaud Chouvy est docteur en géographie, habilité à diriger des recherches (HDR), et chargé de recherche au CNRS. Il est membre de l'équipe PRODIG (UMR 8586).

www.chouvy-geography.com